Le Monde.fr avec AFP | 02.06.2015 à 06h39 • Mis à jour le 02.06.2015 à 11h51 | Par Hélène Sallon
Le premier ministre irakien, Haïder Al-Abadi, est arrivé, mardi 2 juin, à Paris, déterminé à relancer la dynamique contre l’expansion de l’Etat islamique (EI). Au groupe restreint des 22 membres de la coalition internationale contre l’EI présents dans la capitale française pour leur troisième réunion depuis septembre 2014, M. Abadi a soumis un plan de reconquête de la province sunnite de l’Anbar et de son chef-lieu Ramadi, dont la chute aux mains de l’EI le 17 mai, suivie de celle de Palmyre, en Syrie, le 20 mai, a créé une onde de choc au sein de la coalition, après une série de victoires sur le groupe djihadiste. Rejetant les critiques exprimées publiquement par Washington d’un « manque de volonté à combattre » de ses forcesou par Paris sur le manque d’inclusion politique des composantes de la société irakienne, M. Abadi espère obtenir un soutien accru des membres de la coalition à son pays.
La stratégie de reconquête de M. Abadi donne la priorité à la mobilisation des tribus sunnites locales et au déploiement d’unités de police dotées d’un nouveau commandement. Elle sous-tend l’entraînement et l’équipement d’importantes troupes par les membres de la coalition. Bagdad assure vouloir imposer son contrôle sur les milices chiites qui assument l’essentiel des combats dans la contre-offensive lancée le 26 mai sur Ramadi. Ces milices, réunies sous le sigle gouvernemental des unités de la mobilisation populaire (MP), cultivent leur indépendance voire, pour certaines, une inféodation à l’Iran, qui leur fournit armes et conseillers.
Après avoir résisté pendant dix-huit mois aux assauts de l’EI, les forces de sécurité irakiennes et les forces locales ont plié devant le groupe djihadiste en une semaine. L’impression trompeuse d’un retrait défensif de l’EI depuis le revers subi, fin mars, à Tikrit, à 100 kilomètres au nord de Bagdad, a peut-être contribué à l’impréparation des forces gouvernementales.Défiance et absence de coordination, manque de préparation, d’entraînement et d’armements, retrait précipité de commandants, manque de renseignements et d’appui aérien, d’un côté, renforts de combattants venus de Syrie, recours dévastateur et massif par le groupe djihadiste aux camions piégés, de l’autre : de nombreux facteurs ont contribué à une situation chaotique.
Le président américain, Barack Obama, a minimisé la défaite de Ramadi, la qualifiant de « revers tactique ». En dépit des critiques accrues à Bagdad et au sein de la coalition sur l’efficacité des frappes aériennes – plus de 4 100 depuis août 2014 –, l’administration Obama exclut tout changement substantiel dans sa stratégie, qui s’articule autour des frappes aériennes, de la formation et l’équipement des forces gouvernementales et locales, et du soutien à une politique inclusive.
L’envoi de forces au sol n’est pas à l’ordre du jour, bien que certains responsables américains plaident pour le déploiement de conseillers au sein des bataillons, notamment pour orienter les frappes aériennes, ou de forces spéciales pour des actions ciblées. Des membres de la coalition se proposent d’y contribuer. « Nous sommes prêts à mettre des forces au sol : des forces spéciales, des conseillers », indique un diplomate du Golfe, qui précise que Bagdad avait décliné l’offre en janvier. Les autorités irakiennes ne cessent d’appeler – en vain, selon elles – à une couverture aérienne plus efficace, de davantage de formations – 11 000 soldats sont formés ou en cours de formation depuis septembre – et d’armes sophistiquées.
Le Pentagone a livré lundi 2 000 missiles antichars AT4 début juin pour faire face à la menace des camions piégés. « Il y a des discussions sur comment revoir notre action pour gagner en efficacité et multiplier les efforts », indique une source diplomatique occidentale.
Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française, a rappelé, le 28 mai, les « engagements politiques » des autorités chiites de Bagdad à « une politique de rassemblement inclusive » entre les différentes composantes irakiennes. L’inclusion des forces sunnites de l’Anbar est jugée nécessaire pour rallier durablement des populations qui, par défiance pour l’Etat central, privilégient la neutralité passive voire l’adhésion à l’EI. Les forces sunnites loyales à Bagdad se plaignent d’un manque de soutien et de confiance. Seuls 5 000 combattants sunnites ont été intégrés aux unités de la MP et les armements, sommaires, sont donnés au compte-gouttes. Washington, qui exclut toujours d’armer directement ces combattants, presse Bagdad d’accroître son soutien.
Le premier ministre Abadi estime œuvrer pour l’inclusion politique des populations sunnites. Il promet que les réformes promises en septembre 2014 seront bientôt votées, à l’instar de la création d’une garde nationale, comprenant des forces de sécurité locales, placées sous l’autorité du premier ministre avec un droit de regard du gouverneur, que pourraient intégrer les tribus sunnites et les milices chiites. « Il y a un certain nombre de réformes souhaitables qui sont bloquées par le Parlement : celle sur la garde nationale ; la réforme de la loi de débaasification, avec une relecture de l’exclusion faite en 2003 des militaires de l’armée de Saddam Hussein ; et l’amnistie pour les prisonniers politiques », déplore une source diplomatique.
La défaite des forces gouvernementales et locales à Ramadi constitue un revers politique pour la coalition, qui voit se concrétiser sur le terrain un scénario qu’elle redoutait. La contre-offensive contre l’EI en plein cœur du « pays sunnite » est menée par des milliers de combattants chiites, majoritairement hostiles à la coalition et dont certains sont accusés d’exactions envers les populations sunnites dans les zones libérées. Elle contrecarre l’ascendant pris par la coalition à Tikrit, fin mars, qui avait obtenu leur retrait du front avant l’offensive finale.
L’arrivée de ces milices et leurs premières victoires autour de Ramadi sont accueillies avec soulagement par certaines tribus sunnites. Pragmatiques, les Américains ont choisi d’appuyer leur contre-offensive. « Les milices ont un rôle à jouer aussi longtemps qu’elles sont sous le contrôle du gouvernement irakien », a insisté le colonel Steven Warren, porte-parole du Pentagone.
Ces milices pourraient transformer leurs victoires militaires en gains politiques, fragilisant davantage le leadership du premier ministre Abadi, déjà contesté dans le camp chiite. « L’ancien premier ministre Maliki essaie de fragiliser le gouvernement actuel en répandant l’idée que ses politiques non confessionnelles sont un échec et que les milices chiites sont la solution », analyse un diplomate du Golfe. Leur renforcement conduit inévitablement à une plus grande ingérence de l’Iran dans les affaires irakiennes, au risque d’exacerber la rivalité avec les puissances sunnites régionales, membres de la coalition. Dimanche, M. Abadi a de nouveau assuré que l’Irak n’était pas une « porte d’accès » pour l’Iran et qu’il ne prendra pas part aux conflits opposant Riyad et Téhéran dans la région.
M. Abadi se défend des critiques opposées par les forces de la coalition et les renvoie à leur responsabilité face à l’afflux de combattants étrangers. « Il est vrai qu’Abadi peut faire davantage et a la marge de manœuvre pour concéder plus d’inclusion politique aux sunnites et aux Kurdes », estime Hosham Dawood, spécialiste de l’Irak. « Mais, il faut le renforcer, ce qui passe par un soutien accru de la coalition, militaire mais aussi humanitaire et financier, dans lequel les puissances sunnites de la région ont un rôle à jouer », poursuit-il.
Les autres volets du soutien au gouvernement irakien sont au menu de la réunion de Paris : le problème des combattants étrangers en nombre croissant, qui inquiète particulièrement la France ; l’aide humanitaire aux 2,8 millions de déplacés ; la création d’un « fonds de stabilisation » pour lancer les opérations de déminage et de reconstruction ; la charte pour la protection des minorités persécutées que M. Fabius veut faire inscrire aux objectifs de la coalition au même titre que la protection du patrimoine en danger.
« Le pourrissement de la situation en Syrie pèse sur la stabilisation de l’Irak voisine car il y a un afflux de combattants par-delà la frontière comme l’a montré l’offensive à Ramadi », note une source diplomatique. La conquête par l’EI de Palmyre, le 20 mai, confirme l’affaiblissement du régime syrien, qui s’est replié sur son « espace utile » après avoir également perdu la province d’Idlib au profit d’une coalition islamiste menée par le Front Al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaida.
L’affaiblissement de Bachar Al-Assad, bien que salué par la coalition, suscite de nombreuses interrogations en l’absence d’alternative crédible pour une transition politique. Elles sont alimentées par les spéculations sur un possible « lâchage » du dictateur par Moscou. « On voit se faire jour des préoccupations plus pressantes sur Daech, l’impact de la radicalisation et la question de l’affaiblissement de Bachar Al-Assad, désormais reconnu par les Russes. Mais il n’y a pas encore de discussions sur une alternative ni de chemin politique qui se dessine vers une transition », pointe une source diplomatique. Mardi, le président iranien Hassan Rohani a fustigé les « erreurs de calcul » des pays soutenant la rébellion syrienne et affirmé que Téhéran soutiendra le régime de Bachar Al-Assad « jusqu’à la fin » du conflit.
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