Le Monde.fr | 25.11.2015 à 16h17 • Mis à jour le 25.11.2015 à 20h00 | Par Madjid Zerrouky, William Audureau et Maxime Vaudano
Si le doute ne planait plus vraiment, les attentats franciliens du 13 novembre ont achevé de convaincre le public occidental : l’Etat islamique (EI) est l’organisation terroriste la plus meurtrière du monde, a fortiori depuis que la secte Boko Haram lui a prêté allégeance, en mars 2015. Depuis juin 2014, date de proclamation du « califat » de l’EI, Le Monde a recensé 83 attentats et exécutions d'otages commis par l’organisation et ses diverses « filiales » à travers le monde.
Ces actions dessinent à la fois le contour de l’implantation géographique de l’organisation djihadiste, l’évolution de sa stratégie, de ses cibles et de ses rapports à l’Occident, ainsi que l’élargissement progressif de ses soutiens régionaux, aux méthodes propres et aux cibles parfois très variées.
En près d’un an et demi, hors opérations militaires conventionnelles contre des armées en guerre et exécutions punitives ou génocidaires en Irak et en Syrie, l’EI et les groupes qui lui ont prêté allégeance ont entraîné la mort de plus de 1 600 personnes dans le monde, en additionnant les attentats commis en dehors de son territoire et les exécutions d'otages, le plus souvent perpétrées le désert irako-syrien.
L’EI a peu à peu exporté son champ de bataille en élargissant le spectre des pays visés par les attentats. En nombre de morts, le sol français est, derrière le sol égyptien, le premier territoire touché en dehors des zones d’implantation historique de l’organisation (Moyen-Orient et Afrique de l’Ouest avec Boko Haram).
Les villes les plus frappées
Maiduguri, la capitale de l’Etat du Borno, dans le nord-est du Nigeria, a déjà été touchée huit fois depuis que Boko Haram a prêté allégeance à l’EI. Riyad et Sanaa, capitales de l’Arabie saoudite et du Yémen, complètent ce sinistre podium. Paris est la ville occidentale la plus frappée, avec les attentats de janvier (revendiqués par Amedy Coulibaly pour le compte de l’EI) et de novembre, auxquels s’ajoute l’attaque que comptait commettre Abdelhamid Abaaoud le 18 ou le 19 novembre à la Défense.
Les intérêts de cinq continents visés
A l’exception de l’Amérique du Sud, tous les continents ont été frappés au moins une fois par l’EI ou ses sympathisants – qu’il s’agisse d’attaques sur leur sol ou contre leurs ressortissants à l’étranger (le plus souvent tristement mises en scène sous la forme d’exécutions filmées).
Ce sont toutefois les pays du Moyen-Orient et les pays proches des fiefs de Boko Haram qui ont été les plus touchés, souvent dans des opérations de déstabilisation ou de représailles. Le Nigeria a subi 13 attentats, tandis que l’Arabie saoudite, pays qui bombarde l’organisation djihadiste mais qui est soupçonné de financer l’EI, a été le théâtre de dix attaques.
Les branches les plus meurtrières
L’Etat islamique est de loin l’organisation terroriste la plus médiatisée en Occident et son bilan est conséquent : plus de 600 morts entre les exécutions d’otages, les attaques contre des pays frontaliers et les opérations à l’extérieur. Toutefois, rapporté au nombre d’actions, Wilayat Al-Sudan Al-Gharbi, plus connu sous son ancien nom de Boko Haram, est sa branche la plus sanguinaire, d’autant qu’elle n’agit sous l’égide de l’EI que depuis six mois. La secte djihadiste nigériane se distingue par son recours répété à des attentats aveugles dans des lieux publics, afin de maximiser le nombre de victimes.
Des revendications fluctuantes
Il n’est pas toujours évident de lier chaque attentat, et a fortiori chaque tentative d’attentat, à l’EI. Longtemps, l’organisation dirigée par Abou Bakr Al-Bagdadi a incité des individus isolés à passer à l’acte, et l’automne 2014 a vu de nombreuses agressions contre des forces de l’ordre ou des civils commises par des forcenés se revendiquant de l’EI, drapeau à l’appui, avec l’assentiment distant – a posteriori – et peu concerné de l’organisation. Ce fut le cas pour Man Haron Monis, l’auteur de la prise d’otages de Sydney en décembre 2014.
L’organisation terroriste ne revendique jamais les actions terroristes qui ont échoué – comme celles de Villejuif et du Thalys, en France, et ce même si elle apparaît comme le premier suspect. Il est également arrivé que l’EI nie avoir commis un attentat, comme celui du 18 avril à Jalalabad, en Afghanistan, qui lui avait pourtant été attribué par les autorités. Enfin, Boko Haram, qui compte pour 23 attentats et 418 morts depuis son allégeance, revendique très rarement ses attaques, même si son mode opératoire récurrent (l’attentat-suicide et les bombes) mène les autorités nigérianes à les lui attribuer quasi automatiquement.
Certaines actions ont été directement revendiquées par la « maison mère » irako-syrienne. C’est le cas des attaques de novembre en France, mais aussi des attentats qui ont visé la Tunisie, alors qu’ils ont été commis par des terroristes entraînés en Libye, ou encore des assassinats au Bangladesh.
Des modes opératoires qui évoluent
L’organisation djihadiste a également changé son mode de terreur, passant de décapitations d’otage ponctuelles – ,comme celle d’Hervé Gourdel par le groupe Soldats du califat, en Algérie – à des massacres civils aveugles – comme les attentats du 13 novembre, qui ont coûté la vie à 130 personnes en Ile-de-France.
Les six mois qui ont suivi la proclamation du califat de l’EI sont marqués par de nombreuses prises d’otages et peu d’attentats sur le sol occidental, à l’exception d’assauts isolés contre des représentants des forces de l’ordre, comme aux Etats-Unis, et de la fusillade d’Ottawa. L’année 2015 est marquée par une forte diminution des prises d’otages et par une recrudescence des attentats-suicides. L’EI et ses filiales n’ont par contre jamais utilisé d’armes chimiques sur un sol étranger.
Quelles sont les cibles ?
La prise d’otages de l’Hyper Cacher, le 9 janvier, pourrait faire croire que l’EI cible les juifs. En réalité, les musulmans sont de très loin les premières victimes de l’organisation djihadiste, qui s’est lancée dans une opération d’épuration religieuse visant notamment les chiites au Moyen-Orient et les soufis en Afrique de l’Ouest. Sur 20 attentats ou projets d’attentats contre des lieux saints, un seul a visé une synagogue (à Copenhague), un seul une église (à Villejuif, avorté) ; les 18 autres ont pris pour cible des mosquées (essentiellement au Nigeria, au Cameroun, en Arabie saoudite et au Yémen).
On retrouve dans l'étude des lieux des attentats l’évolution de la stratégie de l’EI, passée des exécutions dans le désert aux attaques dans les lieux publics. Mais on constate surtout le tournant que l’intégration de Boko Haram a fait prendre à l’organisation djihadiste, dont près d’un quart des attentats sont désormais dirigés contre des mosquées.
Le vendredi, jour le plus meurtrier
Jour saint, mais jour de sang. Alors que l’EI proclame son respect scrupuleux de l’islam, c’est le vendredi, jour saint dans la religion musulmane, que se déroulent le plus souvent les attentats et exécutions de l’organisation djihadiste depuis juin 2014. A cela, aucun hasard : c’est en effet le vendredi que ses branches saoudiennes et yéménites peuvent maximiser le nombre de victimes chiites, en visant les mosquées en ce jour de prière.
Mais c’est également le vendredi que frappe le plus souvent Boko Haram, dans des attentats aveugles contre des mosquées camerounaises et nigérianes (le groupe accusant les dignitaires musulmans de ces pays de collusion avec les pouvoirs en place) ou visant les confréries soufies. C’est enfin le vendredi, veille du week-end dans les sociétés occidentales, que l’EI et les terroristes qui s’en réclament frappent le plus souvent en Occident, à l’image de la prise d’otages de l’attaque avortée du Thalys en août ou des attentats du 13 novembre à Paris et à Saint-Denis.
Sources : Le Monde, AFP, New York Times et France Culture. Les décomptes du nombre de morts ne prennent pas en compte les terroristes.
Crédits pictogrammes : misirlou et useiconic.com / The Noun Project.
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